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584 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

petit passé. On n'arrive jamais à la mort sans dot. Je vou- drais vous léguer ce qui peut subsister de ces trente-six ans, et deux ou trois commissions. Je tiens à ce que vous habitiez parfois ma maison de Solignac. Vous hériterez de moi, de moi-même ; j'ai écrit dans ce papier deux ou trois de mes manies que je voudrais ne pas voir périr, car je n'ai pas de petits neveux auxquels elles reviendraient naturellement, comme disait Heine dans sa lettre. Je tiens à ce que vous soyez à Paris pour l'Exposition colo- niale de 1924. Celle des Arts appliqués je m'en moque. (Arts appliqués est d'ailleurs une faute de français.) Je tiens à ce que toutes les fois que vous entendrez le mot Prémisses...

Elle passa ainsi le soir à séparer ce qui devait périr avec elle et ce qu'elle devait planter dans le nouveau passé de Kleist. Puis quand le chromo officiel de sa vie fut épuisé, quand les troupes alliées eurent défilé sous l'Arc de Triomphe, et quand il ne resta plus en elle que ses défail- lances, ses erreurs, ses mauvaises habitudes, elle se tut, gémit toute une nuit, ressembla soudain à la mort, res- sembla pour la première fois à son fiancé futur et non passé, et mourut...

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��Il était minuit. Tous les Français dormaient. Y compris le million de mères que la guerre a privées de fils. Y compris, dans les dortoirs de la Légion d'honneur, grou- pées pour la surveillance autour de la répétitrice qui ronfle sous sa tonnelle de mousseline, les quatre élèves roman- tiques. La lune, pour une aussi belle nuit, s'était arrangée à la paraffine des traits normaux. A peine un futur clairon s'exerçait-il dans les jardins lumineux sur un clairon d'argent. Tout dormait entre Rhin, Atlantique et Pyrénées, y com- pris, car c'était le lendemain d'un dimanche d'élections et de sports, les nouveaux conseillers généraux et les nouveaux

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