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Page:NRF 19.djvu/587

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FINALE DE SIEGFRIED ET LE LIMOUSIN 585

champions de longue-paume. Y compris Monet, Bergson, Foch... Dans une proportion défavorable aux pyjamas et favorable aux chemises de madapolam, les huit cent mille fonctionnaires dormaient, gloire et douceur de l'état. L'égalité de la nuit pénétrait par des millions de volets hermétiquement clos et par cinq ou six fenêtres ouvertes le peuple le plus amoureux de l'égalité et le plus ennemi de l'air. A peine une cloche mal rattachée tintait- elle parfois en reprenant son équilibre. Au douanier et au poète qui veillaient encore, par respect de la République ou du firmament, et qui recevaient debout les coups homicides de la nuit, la nature hypocrite affectait de se donner elle aussi pour mortelle, mais ne consacrait à cette politesse que l'effort minimum, une brindille cassée, un craquement dans un silo, ce peu qui satisfait, paraît-il, les douaniers et les poètes que consume à minuit l'idée d'une nature immortelle... Tout dormait. Y compris les acteurs et les actrices encore maquillés dans le dernier train de Bois-Colombes. Les trois cent mille concierges dormaient, mais avec des sursauts, consciences des maisons. Y com- pris le Loing dont on avait clos les écluses. Y compris, dans de grands cimetières inclinés à la lune, Pasteur, Debussy, Rodin... Tout dormait...

Hormis moi, qui regardais Forestier endormi, dans le wagon qui nous menait au Limousin. Devant la première pente du Massif Central la locomotive soufflait. J'avais fermé le gaz, tiré les rideaux. Je maintenais l'ombre sur mon ami jusqu'au moment où je pourrais à la fois lui apprendre son nom et lui révéler son département Haute- Vienne étincelant, car j'avais décidé de tout dire aujour- d'hui. Il dormait, comme tous les Français. Je l'entendais parfois rêver dans sa langue étrangère, je me penchais, je lui répondais dans la mienne, je ramenais le français sur lui comme une couverture. Ce qui restait encore en lui de Siegfried aspirait à longue haleine cet air nouveau de la montagne. Ce qui restait en lui de Kleist maintenait sur

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