Page:NRF 19.djvu/646

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

644 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

mousse s'emplissait seulement la coupe qu'il y plongeait.

Il n'y avait pas là l'effet d'une constitution physique fragile, ni aucune intolérance par débilité. Au contraire Fournier fut toute sa vie robuste et bien portant. C'était son esprit tout seul dont l'aspiration était ainsi prudente et réservée, — comme s'il eût eu ailleurs d'autres sources où puiser, et une alimentation invisible.

Quand je la compare à la sienne, toute ma vie, qui pour- tant fut occupée par beaucoup des mêmes événements, m'apparaît affreusement positive. J'ai à peu près réussi là où il échoua sans cesse ; et pourtant c'est lui qui volait, moi qui reste...

Il serait vain de vouloir faire la part du merveilleux spon- tané, dans son histoire, et de celui qu'il y ajouta lui- même par la simple tournure de son imagination. Elle reste, en tous cas, « à peine réelle », tissée des aventures les moins analysables; des femmes y sont mêlées dont, du fait que son regard seulement les effleura, il devient impos- sible de savoir qui elles furent d'autre que les anges ou les démons qu'il vit.

Une biographie d'Alain-Fournier ? Ecrite du dehors, puisée ailleurs que dans ses contes et dans le Grand Meaulnes , ne sera-t-elle pas un continuel mensonge, le récit des faits qu'il n'a pas vécus ? Et comment oser, en particulier, recons- tituer sa dernière rencontre ? Comment savoir le visage qu'eut pour lui, brusquement dévoilé dans la solitude, cette maîtresse terrible qu'il avait toujours attendue: la guerre ?

��1

��Pourtant je suis le seul à l'avoir vraiment connu. Nous nous étions liés au lycée Lakanal, où nous étions entrés tous les deux en octobre 1903 pour préparer l'Ecole Nor- male Supérieure. Nous avions le même âge : dix-sept ans.

Notre amitié ne fut d'ailleurs pas immédiate, ni ne se

�� �