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646 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Mais il tenait à moi et peu à peu la sincérité de son atta- chement m'apparut, me convainquit, apaisa mes résistances. C'est aussi qu'à côté de son indiscipline, tout un autre aspect de son caractère se révélait à moi, lentement, que je ne pouvais qu'aimer. Sous ses dehors indomptés, je le décou- vrais tendre, naïf, tout gorgé d'une douce sève rêveuse, infiniment plus mal armé encore que moi, ce qui n'était pas peu dire, devant la vie.

Le parc de Lakanal, qui fut celui de la Duchesse du Maine et de la Cour de Sceaux, est un endroit merveilleux ; il dévale lentement vers Bourg-la-Reine. La grande allée vient aboutira une grille qui donne sur un chemin peu fréquenté ; un banc la termine, où, parmi toute cette ban- lieue, on peut avoir l'illusion d'un peu de solitude. C'est sur ce banc que chaque jour, pendant l'heure de récréation qui suivait le déjeuner, je venais m'asseoir avec Fournier.

Nous avions de grandes conversations. Il me parlait de son pays avec une sorte de passion. Il était né ■ à La Chapelle- d'Angillon, un petit chef-lieu de canton du Cher, à une trentaine de kilomètres au nord de Bourges, sur les confins de la Sologne et du Sancerrois, en plein centre de la France. Mais c'est surtout d'Epineuil-le-Fieuriel, un plus petit village encore, situé à l'autre extrémité du département, entre Saint-Amand et Montluçon, où ses parents avaient été longtemps instituteurs et où il avait passé toute sa première enfance, qu'il me faisait des descriptions enthou- siastes et presque amoureuses. Je reconstituais sa vie de petit paysan dans cette campagne sans pittoresque, lente, pure et copieuse et dont les aspects s'étaient comme incorporés à son âme : je me rendais compte de ce qu'avait été cette enfance alimentée par la précieuse ignorance de tout autre paysage au monde que celui qu'on pouvait découvrir des fenêtres de l'école. Quelle estacade que cette solitude pour les voyages de l'imagination !

1. Le 3 octobre 1886.

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