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652 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Toute la campagne, non pas celle qu'on visite, mais celle où Fournier était né et dont il sentait l'imprégnation, revivait dans ces lignes un peu tremblantes, privées de toute architecture interne que Jammes traçait, les unes au-dessous des autres, d'une main paisible et maladroite exprès. La façon dont les mots y venaient, à leur place physique plutôt que significative, et dont ils incarnaient les animaux, les arbres, les métairies, en suggérant simple- ment l'odeur, la couleur ou la forme ; la peinture de chaque heure du jour, avec son soleil propre et l'exacte déclivité des ombres ; ces vers si tangibles que certains pouvaient être tenus entre les mains comme une gaule, d'autres froissés dans les doigts comme une feuille de menthe, — toute cette poésie matérielle et pure l'en- chantait.

Nous ne séparerons pas la vie d'avec l'art.

Fournier s'empara tout de suite de' ce vers faux, ou mal cadencé, et le fit marcher longtemps, à cloche- pied, en avant-garde de son œuvre, comme un chemineau et comme un guide.

Ce fut appuyé sur Jammes qu'il commença à se révolter contre l'intelligence, c'est-à-dire, dans son esprit, contre la culture des idées, contre l'effort pour définir, contre le jugement qui exclut. Barrés, en qui je me complaisais à ce moment et qu'il fit effort pour aimer avec moi, dans le fond l'exaspérait : « Je t'ai dit une fois pour toutes que je trouvais parfaitement vain ce travail de mise en formules... Je préférerai, moi, toujours m'arrêter pour parler de la « mer méridionale éperdument bleue » — ou delà batteuse que j'entends ronfler dans les champs der- rière moi comme pour me dire que c'est encore l'été — encore un peu de tout cet été que je n'ai pas vécu l . » Et plus tard : « Je me dégoûte d'écrire ainsi tant de petites

1. Lettre du 23 septembre 1905.

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