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ALAIN-FOURNIER 665

où toutes les réalités, à cause du cœur où elles sont passées, seront pures comme des idées \ »

Donc lien, par suite de perception simultanée, du parti- culier et de l'idéal, autrement dit : sublimation immé- diate, sans le secours de l'intelligence, de l'objet concret. Le résultat sera une transposition comme automatique de tout le spectacle abordé par l'esprit du romancier dans un monde quasi-surnaturel :

« Pour le moment je voudrais plutôt [que de Dickens ou des GoncourtJ procéder de Laforgue, mais en écrivant un roman. C'est contradictoire; ça ne le serait plus si on ne faisait, de la vie avec ses personnages, que des rêves qui se rencontrent. J'emploie ce mot rêve parce qu'il est commode quoique agaçant et usé. J'entends par rêve : vision du passé, espoirs, une rêverie d'autrefois revenue qui rencontre une vision qui s'en va, un souvenir d'après- midi qui rencontre la blancheur d'une ombrelle et la fraî- cheur d'une autre pensée. — H y a des erreurs de rêve, de fausses pistes, des changements de direction, et c'est tout ça qui vit, qui s'agite, s'accroche, se lâche, se renverse. Le reste du personnage est plus ou moins de la mécanique — sociale ou animale — et n'est pas intéressant.

Ce que je te dis là semble l'énoncé de vérités séculaires et banales sous une forme tant soit peu différente.

Mon idéal c'est justement d'arriver à rendre cette forme, cette façon d'énoncer la vie tangible dans des romans, d'arriver à ce que ce trésor incommensurablement riche de vies accumulées qu'est ma simple vie, si jeune soit-elle, arrive à se produire au grand jour sous cette forme de « rêves » qui se promènent 2 . »

Aussi Fournier admire-t-il dans Tess d'Urberville «ces trois filles de ferme amoureuses, si simplement irréelles malgré les mille délicieux détails précis 3 ... »

1. Lettre du 9 novembre 1906.

2. Lettre du 13 août 1905.

3. Lettre du 24 janvier 1906.

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