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LE FLEUVE DE FEU 70 I

vitre, regardait Mademoiselle de Plailly qui écrivait, écrivait... De la feuille roussie par la cigarette de Raymond et vainement déchirée, émanait une force qu'il subissait bassement. Cette fille, derrière la vitre, ne lui était plus que ce qu'elle eût été pour un ravageur comme Cour- rège : Ah ! forcer la porte, arracher ces papiers où elle livrait ses secrets, et puis la prendre, se la soumettre. A l'instant où, debout, elle fermait l'enveloppe, Daniel entra et, du seuil, il la dévisageait. Comme le temps pluvieux assombrissait le salon, elle ne put voir l'expres- sion atroce de ses traits, d'ailleurs à contre-jour, mais sans doute en pressentit-elle la menace, car elle se retira en hâte par la porte du vestibule. Daniel examina les ouvrages au crochet sur les fauteuils de palissandre, une tête d'isard au-dessus de la porte, puis la table où tout à l'heure la jeune fille écrivait. Un buvard était là dont il se saisit avidement pour le placer devant la glace. Ainsi déchiffra-t-il quelques mots insignifiants : tendresses... embrasse... pluie... et la signature : Gisèle de Plailly. Il emporta ce petit nom, le répéta, le savoura, s'en péné- tra ; il en fut comme adouci, apaisé. A la fenêtre de sa chambre, fumant et rêvassant devant la pluie, ayant sa part de la joie végétale, il détachait chaque syllabe de ce nom et de ce prénom : Gisèle, Gisèle de Plailly — comme s'ils eussent dû lui ouvrir il ne savait quelles portes.

Aux Pyrénées, la pluie dure : trois jours passèrent sans interrompre le déluge qui, ensevelissant les mon- tagnes, rétrécissait le monde autour de l'hôtel désert. Cette complicité de la pluie livrerait à Daniel la jeune fille abandonnée. Non qu'il fût si fat que de croire qu'il ne pouvait déplaire. Mais son instinct d'abord l'avertissait si la voie était libre, s'il pouvait aller de l'avant. Sa force était de se voir sans indulgence, tel que le reflétait la femme élue, comme si malgré lui il eût dû se conformer

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