Page:NRF 19.djvu/72

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

70 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Dupanloup. Des sables d'Afrique à la Bérésina, ce Karagueuz militaire parcourt l'Europe, comme le P. H. d'Aragon en Polo- gne. La boule de neige. Transposez tout cela sur le plan suprême : vous avez le Satyre de Victor Hugo.

De Shakespeare, de Rabelais, de Hugo, je reviens à Flau- bert et à M. Morin. Entre le Garçon du théâtre du Billard et le Père Ubu du théâtre des Phynances, il y a cette différence que le Garçon a évolué en Homais et en Bouvard, tandis que, d'Ebé à Ubu, il n'y a qu'un changement de voyelles, ce qui est peu. Flaubert pouvait laisser rouler la boule de neige. Et elle a roulé en effet jusqu'à la première Tentation. Puis il a vu que la boule de neige, qui est l'art de l'enfance, est aussi l'enfance de l'art. Il a compris la maturité de l'art comme la présence d'un bloc de marbre et, à partir de Madame Bovary, il a attaqué ce bloc, d'où est sorti Homais (mais la maquette d'Homais fut faite en neige). Et puisque les farces du Garçon n'ont pas été rédigées, il nous manquerait un des états intéressants de l'œuvre d'art si nous n'avions pas Ubu Roi.

Tout dès lors s'est admirablement passé. La destinée d'Ubu s'étale devant nous comme une de ces suites magnifiques dont la courbe imprévue devrait nous faire sauter de plaisir. Comme M. Morin a été bien inspiré de laisser à Jarry la 'paternité puta- tive de son œuvre ! D'abord il en eût été gêné dans sa carrière militaire ; et l'auteur d'Ubu eût été regardé d'un œil torve par la direction de l'artillerie. Mais surtout Jarry seul, type extraor- dinaire, était capable de porter Ubu dans le monde littéraire et autre, d'en faire la joie de toute une génération, de produire au soleil cet énorme champignon arborescent, avec lequel il finit par se confondre comme Daphné avec le laurier d'Apollon.

Et ce qui me paraît plus beau encore, mieux accordé avec les puissances substantielles de la vie, c'est ce mot de l'auteur véritable d'Ubu à M. Chassé : « Il n'y a pas de quoi être très fier quand on a fait une c.nade pareille. » Le metteur en scène, avec Flaubert, du Garçon, c'était Ernest Chevalier, qui se répandait peut-être, étant enfant, en autant de verve et de génie que Flaubert lui-même. Tandis que Flaubert ne faisait rien produire à ses études de droit qu'un sentiment nouveau du grotesque humain, Chevalier en tirait une carrière honorable dans la magistrature debout, et se scandalisait fort quand son

�� �