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y22 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

place entre deux glaces, aperçoit une douzaine de Hugos, les appelle Eschyle, Lucrèce, Rabelais, Shakespeare, etc.. Dans ce qu'il écrit là-dessus d'admirable, il nous suffit de faire la part de ce point de vue plutôt spécial.

La critique d'artiste porte sur les artistes et les éclaire. Elle porte aussi sur la nature de l'art, du génie, qu'elle nous rend sensible par l'exemple même. Mais elle portera rarement sur des suites, des chaînes, sur des arts, des Littératures, vues synthé- tiquement, comme des ensembles et comme des êtres. Sainte- Beuve, parlant de la fonction que lui-même chercha à remplir en 1830, écrit: « Lamartine, Victor Hugo, de Vignv, sans le désapprouver et en le regardant faire avec indulgence, ne sont jamais beaucoup entrés dans toutes ces considérations de rap- ports, de filiations et de ressemblances qu'il s'efforçait d'établir autour d'eux. » Ce devait être en effet, pour ces poètes, de l'hé- breu.

Enfin n'oublions pas que la critique d'artiste est aussi, ou devient facilement, une critique d'atelier, ou de chapelle, avec toutes les camaraderies, les jalousies, les haines, les histoires d'Institut, de journaux, d'alcôves, tous les champignons qui poussent sous la table et sur la plume de l'homme de lettres. Les Goncourt ont donné dans Y Art au XVIII e siècle un des chefs- d'œuvre de la critique d'artiste (au contraire des Maîtres d'Au- trefois, autre chef-d'œuvre où Fromentin, malgré son métier, est beaucoup plus professeur que peintre). Et le Journal des Goncourt, même dans sa mutilation actuelle, est évidemment la plus foisonnante collection de copeaux, de ragots et d'humeurs d'atelier qui existent en littérature, le plus comique témoi- gnage, aussi, (mettez en face le pugnace Brunetière, songez aussi àXisard et Victor Hugo) de l'antagonisme entre la criti- que des artistes et la critique des professeurs, de la lutte entre les chantres et les chanoines du Lutrin littéraire. Je cueille ceci dans le premier volume du Journal : « Un éreintement du nommé Baudrillart, dans les Débats. Le parti des universitaires, des académiques, des faiseurs d'éloges des morts, des critiques, des non-producteurs d'idées, des non-imaginatifs, choyé, fes- tové, gobergé, pensionné, logé, chamarré, galonné, crachoté et truffé, et empiffré par le règne de Louis-Philippe, et toujours faisant leur chemin par l'éreintement des intelligences contem-

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