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NOTES 85

du Fou et la Maison du Sage, d'un ouvrage qui en aura d'autres, et qui est construit sur les thèmes catholiques les plus rigides, les plus purs, les plus intenses. Il tourne le dos au xix e siècle et regarde vers le moyen-âge. Le vin de la vigne du Seigneur n'est pas à boire avec mesure et comme à regret, mais bien jusqu'à l'ivresse, jusqu'à ce que l'être ne fasse plus qu'un avec les puis- sances de la liqueur mystique. Aussi la littérature de M. Artus est- elle comme celle d'un couvent mystérieux, arche sainte de vie exaltée et de chrétienté intégrale. De là ces Chroniques de Saint- Léonard auxquelles ce livre ajoute des contes parfois étranges, mais d'une forte vibration, et qui paraissent le diviser comme en cellules de moines, aux murs blanchis à la chaux et cou- verts de fresques. La plus curieuse de ces fresques est peut-être la première, celle du Moine Ivre. Dom Jean imagine éloquem- ment une Uchronie singulière, celle d'une histoire renversée, où l'ère avant le Christ devient l'ère après le Christ et récipro- quement : de sorte que le discours sur l'histoire universelle part du xix e siècle, et, de progrès en progrès, s'avance jusqu'à Prométhée, qui rejette le feu vers le ciel. Dans cette histoire le Christ ne paraît pas. — Pourquoi? demande l'auteur — « Qui voudrait, répond dom Jean, soutenir le mensonge diabolique du progrès devrait, comme je l'ai fait devant vous, commencer par la dernière page, — celui-là qui voudrait démontrer la sagesse de Fhomme !... Mais pour ce mensonge et cette démonstration, il faut, j'en conviens, ignorer Celui que nous servons, vous et moi, qui imposa à la durée le point fixe de sa naissance et de sa mort. » Sous le titre de Malbrough s'en va- t'en-guerre, intermède détendu du livre, on assiste à une jolie revue des personnages de toute la chanson et des légendes fran- çaises, en marche vers Jérusalem. Le Miracle de la 20 e avenue et l'Enfant qui n'allait pas à l'école sont deux contes mélanco- liques et délicats des temps futurs. Le livre plaît d'abord parce qu'il est élégamment et parfaitement écrit. Ses personnages de tapisserie et d'abstraction manquent un peu de vie. Ce qui , remplace la vie c'est un ardent courant religieux et mystique qui les conduit tous, sinon vers une démonstration, du moins vers un état d'intuition intense. Attendons, pour le mieux peser et comprendre, que le cycle de M. Artus soit terminé.

ALBERT THIBAUDET

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