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la porte étroite
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présent qu’elle sentait ses forces décliner elle aimait à nous réunir dans un même embrassement maternel. La maladie de cœur dont elle souffrait depuis longtemps lui causait de plus en plus fréquents malaises. Au cours d’une crise particulièrement forte, elle me fît approcher d’elle :

— Mon pauvre petit, tu vois que je vieillis beaucoup, me dit-elle ; un jour je te laisserai tout brusquement.

Elle se tut, très oppressée. Irrésistiblement, alors, je m’écriai, ce qu’il semblait qu’elle attendît que je lui disse :

— Maman,… tu sais que je veux épouser Alissa. Et ma phrase faisait suite sans doute à ses plus intimes pensées, car elle reprit aussitôt :

— Oui ; c’est de cela que je voulais te parler, mon Jérôme.

— Maman ! dis-je en sanglotant : tu crois qu’elle m’aime, n’est-ce pas !

— Oui, mon enfant. Elle répéta plusieurs fois, tendrement : Oui, mon enfant. — Elle parlait péniblement. Elle ajouta : Il faut laisser faire au Seigneur. Puis, comme j’étais incliné près d’elle, elle posa sa main sur ma tête et dit encore :

— Que Dieu vous garde, mes enfants ! Que Dieu vous garde tous les deux. — Puis tomba dans une sorte d’assoupissement dont je ne cherchai pas à la sortir.

Cette conversation ne fut jamais reprise ; le lendemain ma mère se sentit mieux ; je repartis pour mes cours, et le silence se referma sur cette demi confidence. Du reste qu’eussé-je appris davantage ? Qu’Alissa m’aimât, je n’en pouvais douter un instant. Et quand je l’eusse fait jusqu’alors, le doute eût disparu pour jamais de mon cœur lors du triste évènement qui suivit.