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la nouvelle revue française


Ma mère s'éteignit très doucement un soir entre Miss Ashburton et moi. La dernière crise qui l'enleva ne semblait d'abord pas plus forte que les précédentes ; elle ne prit un caractère alarmant que vers la fin, avant laquelle aucun de nos parents n'eut le temps d'accourir. C'est près de la vieille amie de ma mère que je restai à veiller la chère morte la première nuit. J'aimais profondément ma mère et m'étonnais malgré mes larmes de ne point sentir en moi de tristesse ; lorsque je pleurais c'était en m'apitoyant sur Miss Ashburton qui voyait son amie, plus jeune qu'elle de beaucoup d'années, la précéder ainsi devant Dieu. Mais la secrète pensée que ce deuil allait précipiter vers moi mon amie dominait immensément mon chagrin.

Le lendemain arriva mon oncle. Il me tendit une lettre de sa fille qui ne vint, avec ma tante Plantier, que le jour suivant.


... Jérôme, mon ami, mon frère, combien je me désole de n'avoir pu lui dire avant sa mort les quelques mots que lui eussent donné ce grand contentement quelle attendait. A présent, qu'elle me pardonne ! et que Dieu seul nous guide tous deux désormais ! Adieu mon pauvre ami. Je suis plus tendrement que jamais, ton

Alissa.


Qu'eût pu signifier cette lettre ? Quels étaient donc ces mots qu'elle se désolait de n'avoir pas prononcés, sinon ceux par lesquels elle eût engagé notre avenir ? — J'étais si jeune encore que je n'osais pourtant demander aussitôt sa main. Du reste, avais-je besoin de sa promesse ?