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338 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

A PROPOS DU VERS FRANÇAIS. Mon cher Arnauld,

Si l'on proteste ailleurs, comment ne protesterais-je pas moi- même, dans notre " Nouvelle Revue Française " — où juste- ment votre beau chapitre sur le Lyrisme de Gœihe a paru, et où je représente — un peu en solitaire — le vers libre ? Moi aussi, comme il arriva au mystérieux " Oméga " du dernier numéro de la Phalange, je me suis buté au paragraphe de votre chapitre qui concerne le vers français. Après tant de solides, fines et libres analyses, il tombait là comme un pavé d'ortho- doxie, comme un axiome lourd, comme un axiome faux.

" Le vers français, écriviez-vous, étant déterminé, par la rime, les césures et le nombre des s>'//a6es, le moindre écart implique une révolution qu'un système bien arrêté pourrait seul préserver du caprice absolu. Au contraire la métrique allemande est fondée avant tout sur l'accent ; le vers libre l'assouplit donc sans la briser, etc.. "

Et bien, non ! Et cet " Oméga " a raison quand il attribue votre définition " au souvenir de théories scolaires répétées machinalement ". Non, le vers français — et j'entend.s ce juste alexandrin d'où sort nécessairement le juste vers libre — n"est pas déterminé surtout par la rime, les césures, ni le nombre des syllabes. La rime s'y pose tour à tour comme un ornement gratuit et comme un signe de repos, et tantôt c'est elle en effet qui le scande, tantôt il se scande tout à fait en dehors d'elle. Racine, subtil prosodiste, effaçait la rime volon- tairement, la rendait volontiers banale pour éviter la mono- tonie d'une régulière scansion ; il s'en faut de beaucoup que son rhythme continûment s'appuie sur elle.

Quant aux césures, multiples en chaque vers — j'entends celles que le sens et que la diction imposent — elles ne peu- vent le déterminer davantage, étant essentiellement variables.

Oui, — je viens — dans son temple — adorer l'Eternel. Je viens — selon l'usage antique — et solennel...

Reste le nombre des syllabes, fixe dans le vers régulier en

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