Aller au contenu

Page:NRF 1909 11.djvu/41

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

UNE BELLE VUE 377

ébats, il s'était aventuré jusqu'aux abords de la maison. J'émiettais mélancoliquement dans un bassin quelques bribes de pain destinés aux poissons rouges. Sa voix, enrouée par la mue, me fit soudain tressaillir.

— Ce n'est pas malheureux !... Tu te caches donc !... Il était armé d'un gros bâton. Les cyprins effrayés par

ses moulinets se débandèrent pour se réfugier sous le bouillonnement du jet d'eau. Il me demanda de but en blanc :

— Est-ce vrai que ton père a l'intention de nous déclarer la guerre f

Je courbai le front. Pour toute réponse, les larmes me remplirent les yeux.

— Il faudrait voir ça ! reprit-il d'un ton menaçant. Nous avons l'avantage de la position. Du haut du rempart, j'exécute un tir plongeant et je balaie la cam- pagne. Et pour commencer, je te canarde. Pan ! Pan ! Ton compte est bon.

Il me couchait en joue avec son gourdin. Du bras, je me garai instinctivement la figure.

Après avoir joui une minute de mon effroi, il éclata de rire :

— Nigaud !

Et, bon prince, il ajouta :

— Papa est bien convaincu que vous n'aurez pas le toupet de vous y frotter.

Quelle que fût l'humiliation de mon amour-propre filial, je repris un peu mes sens. Plût au Ciel que la conviction de M. Davèzieux fût fondée ! car c'est une affreuse calamité que la guerre, qui peut du soir au lendemain jeter deux amis dans un camp opposé. Ce

�� �