380 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
qui n'en avait-il pas eu ? Ce gros homme apoplectique et rageur tempêtait dans la vie civile comme jadis à la caserne.
Ajoutez à cela qu'il existait de tout temps une sourde jalousie entre les gens de Saint-Clair et les citadins qui, comme nous, les de Chaberton et maints autres, avaient leurs campagnes sur la commune. Cette jalousie se réveil- lait et achevait d'embrouiller tout. Le seul homme que l'émoi général ne gagnât point était M. Servonnet. Son chapeau à la main, il trottinait de ci de là, aimable et guilleret, colportant des potins et partageant l'avis de tous SCS interlocuteurs.
Au milieu de ces histoires les femmes se trouvaient dans leur élément, et elles ne jouaient pas précisément le rôle de pacificatrices. La rivalité d'élégance de Madame de Chaberton et de Madame Tuffier-Maze entraîna la défection de cette dernière qui, bien qu'elle fût notre cousine à la mode de Bretagne, passa indignement aux Davèzieux. Elle y passa du moins à sa façon, c'est à dire par derrière notre dos, car, avec un visage d'ange, des yeux limpides, un délicieux sourire, elle était la fausseté même. De son mari, il n'est pas question ; la boisson en avait fait une loque et, à commencer par sa femme, il n'existait pour personne, sinon comme un objet de réprobation ou de pitié. Dans le clan féminin, maman seule conservait son sang-froid. Elle ne disait jamais que ce qu'il convenait de dire, et cela tenait en peu de mots pondérés. Elle ignorait l'art d'envenimer et de compliquer les choses. Si elle gardait à part soi une opinion différente de celle de mon père, nul n'en pouvait rien soupçonner. Lorsqu'il l'avait consultée, elle lui avait exprimé sincèrement sa
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