UNE BELLE VUE 389
peuplée, est d'une grande richesse agricole. Les bandes variées des cultures s'y contrarient en tous sens autour des fermes et des taillis épars. Là-bas, les quatre tours aiguës du château de Cbampdieu émergent d'entre les cimes pressées d'un parc vers lequel se dirige en rase campagne une interminable avenue. Vestiges de l'aqueduc qui sous les Romains abreuvait Charlemont, une demi- douzaine d'arceaux ruinés enjambent majestueusement vignes et champs de blé. Dans ce profond repli de terrain, se cache le manoir du Colombier. . .
Or, tout invisible qu'il fût, ce manoir, ou du moins son emplacement approximatif, était pour moi le lieu de beaucoup le plus intéressant du paysage. C'est là que demeurait, enfoui comme dans un tombeau, ce mystérieux M. Tourneur qui, frère de ma tante, ancien ami de mon père, ne tenait pas beaucoup plus de place ici-bas qu'un mort. C'est là que devait prodigieusement s'ennuyer la charmante fillette, que ni Marguerite ni Mesdemoiselles de Chaberton ne priaient à leurs goûters.
L'attrait si troublant de l'inconnu exerçait en plein son empire sur mon esprit, lorsque d'un chemin de traverse déboucha le mauvais break qui, le dimanche, amenait la famille Tourneur à la messe. Nous dûmes nous garer. Comme si j'eusse été pris en faute (mais ne péchais-je point par pensée ?) je me sentis rougir sous les regards de madame Tourneur et de sa fille. M. Tourneur nous pré- sentait le dos ; il ne broncha pas. Or, ayant détourné la tête, je remarquai que pour se donner une contenance mon père suivait des yeux avec une attention exagérée le vol de corneilles effrayées par le trot du cheval. Ses joues s'étaient imperceptiblement colorées. L'incident nous laissa rêveurs autant l'un que l'autre. 4
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