400 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
de m'étonner que nous tous tant que nous sommes, nous ayons cessé de saluer Tourneur du jour où il l'a épousée... Voyons, Landry, ai-je raison, oui ou non ?
Prosper et moi étions assis au fin fond du salon. Mar- guerite, ayant emmené les demoiselles de Chaberton visiter son oratoire, ne nous avait pas jugés dignes de partager cette faveur. Mon camarade, qui n'était pas un garçon d'intérieur, bâillait dans son chapeau à se décrocher les mâchoires. Mais moi, avec quelle attention passionnée, je prêtais l'oreille, on le devine. Je tremblais que l'on nous priât de passer dans une autre pièce avant que se fussent déchirés tous les voiles qui m'avaient si longtemps masqué " l'affaire Tourneur ". Je saisissais dans une glace les regards inquiets que mon père jetait de notre côté.
Pauvre père ! la discussion de ces messieurs ne semblait pas le divertir autant que M. Servonnet duquel un rire contenu allumait les petits yeux jaunes et secouait la mâchoire. Le front crispé, il s'agitait sur sa chaise, se mangeait la moustache, et cherchait vainement le joint pour placer son mot. Apostrophé par M. Davèzieux, il n'avait pas ouvert la bouche que M. de Chaberton s'interposa :
— Permettez !... permettez !... ne mêlez pas notre ami Landry à ce débat... A chacun son point de vue... Je vous demande, à vous, ce que vous reprochez personnellement à Tourneur.
— Ah bien ! vous en avez de bonnes ! Mais, sacredié ! je ne lui reproche rien de plus que vous-même. Vous avez assez crié au scandale quand il nous a ramené cette créa- ture à Saint-Clair.
— Moi ! moi ! j'ai crié !... Avec ça que c'est mon
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