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qui a inventé les troubles de la conscience : il en a seulement abusé, et Pascal s'est penché sur Tabîme du Destin avec une âme autrement aimantée par l'infini et bouleversée que n'im- porte quel Lamartine. Guérin, ni révolté sans doute, comme nous tous, ne cherchait qu'à se soumettre. Comme il imposait à sa technique une rigueur de plus en plus impitoyable, décantant son vocabulaire, n'employant que les mots les plus légers et les plus courants, — lui qui s'était pourtant amusé des plus savoureux néologismes ! — il cherchait à canaliser son âme et ses pensées, à leur donner une direction toujours plus une. Des secousses de sa nature en lutte avec son idéal, de ses sursauts et de ses rancœurs, de ses élans et de ses chutes, de son impuissance à admettre le monde visible et à accepter l'absolu, naquit cette poésie limpide, pure, puissante comme l'eau longtemps endiguée. Il n'a rien des fadeurs délicates, du maniérisme féminin, de cet amour des choses de décadence que l'on trouve dans Samain à qui on l'a trop com- paré. Il est plus âpre et plus viril. S'il a un ancêtre, c'est Vigny, non pas Baudelaire, mais remontant plus haut, il faut lui découvrir une filiation à ces poètes tragiques du XVIP siècle, ensemble rudes et tendres. La poésie de Guérin, c'est un long monologue dramatique, elle se débat héroïquement contre les puissances suprêmes qui tantôt veulent absorber et tantôt le repoussent, et elle avoue humblement son impuis- sance. C'est parce qu'il a ainsi d'humain que Charles Guérin demeurera dans les souvenirs des générations successives, comme la pensive figure du buste de Lunéville survivra aux feuilles de chaque année. Un homme qui n'exprime que la sensibilité de son temps passe avec son temps, mais celui qui traduit ce qu'il y a de plus général dans les meilleurs des hommes accompagnera dans leur pèlerinage éternel ceux qui seront les meilleurs des hommes. Il n'y a point de maladive mélancoUe dans Guérin, mais ce hautain désenchantement que les élus de chaque race ont exprimé. Demain, comme aujourd'hui, il aura sa raison d'être. Quelque jour, nous saurons peut-être par quelle déception personnelle Guérin aura été conduit à cette conception un peu sombre de l'univers, il est
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