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UNE BELLE VUE 5 1 I

— Est-ce donc avoir l'esprit large que de voir les choses comme elles sont ?

Et M. Servonnet d'approuver toujours. Il n'avait pas d'opinions. Maman par contre affirmait les siennes d'un ton qui sous l'apparence du badinage ne manquait pas de fermeté.

Deux heures après notre retour à la maison, mon père revint de son expédition, très las et très ému. M. Tour- neur, nous apprit-il, demeurait en suspens entre la vie et la mort, mais on n'avait pas perdu tout espoir. Il était par contre à peu près certain que s'il réchappait, il resterait paralysé, privé de l'usage de la parole, sinon de la raison.

— J'avais bien remarqué que son visage n'était pas naturel, ajouta mon père... Il avait eu déjà, à ce qu'il paraît, deux ou trois petites attaques... C'est un de ses fermiers qui l'a ramassé à la nuit. Détail affreux: l'homme était un peu gris et a manqué de lui passer sur le corps avec sa carriole. . . La douleur de sa pauvre femme fait peine à voir... Quelle terrible catastrophe pour elle, abso- lument seule, sans famille, sans relations !

Et, comme maman le regardait avec une interrogation dans les yeux :

— Elle est tout à fait bien, dit-il. C'est une femme de tête, et, je crois, d'un grand cœur...

Et dire qu'à cause de cette femme-là, il avait renié son ami ! Hélas ! il s'y prenait trop tard pour leur rendre justice à l'un comme à l'autre. Mort ou vif son ami n'en valait guère mieux. Quels devaient être ses remords !

Mais si c'est ainsi que se comportent les meilleurs des hommes, de quoi les autres ne sont-ils pas capables ?

(à suivre). Edouard Ducote.

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