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LA PORTE ÉTROITE
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Tout chancelait dans ma tête et dans mon cœur ; je sentais le sang battre à mes tempes. Une seule pensée résistait à mon désarroi : retrouver Abel ; lui pourrait m’expliquer peut-être les étranges propos des deux sœurs… Mais je n’osais rentrer dans le salon, où je pensais que chacun verrait mon trouble. Je sortis. L’air glacé du jardin me calma ; j’y restai quelque temps. Le soir tombait et le brouillard de mer cachait la ville ; les arbres étaient sans feuilles, la terre et le ciel paraissaient immensément désolés… Des chants s’élevèrent ; sans doute un chœur des enfants réunis autour de l’arbre de Noël. Je rentrai par le vestibule. Les portes du salon et de l’antichambre étaient ouvertes ; j’aperçus, dans le salon maintenant désert, mal dissimulée derrière le piano, ma tante qui parlait avec Juliette. Dans l’antichambre, autour de l’arbre en fête, les invités se pressaient. Les enfants avaient achevé leur cantique ; il se fît un silence, et le pasteur Vautier, devant l’arbre, commença une manière de prédication. Il ne laissait échapper aucune occasion de ce qu’il appelait " semer le bon grain ". Les lumières et la chaleur m’incommodaient ; je voulus ressortir ; contre la porte je vis Abel ; sans doute il était là depuis quelque temps. Il me regardait hostilement et haussa les épaules quand nos regards se rencontrèrent. J’allai à lui.

— Imbécile ! fit-il à demi-voix ; puis, soudain:Ah ! tiens ! sortons; j’en ai soupe de la bonne parole. — Et dès que nous fûmes dehors : — Imbécile ! fit-il de nouveau, comme je le regardais anxieusement sans parler. — Mais c’est toi qu’elle aime, imbécile ! Tu ne pouvais donc pas me le dire ?

J’étais atterré. Je refusais de comprendre.