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LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

un silence, me semblait-il, tangible et concret de maisons scellées sur leur mystère intérieur, de cours seigneuriales entr’ouvertes et solitaires, de pavés enchâssés d’une herbe déserte. Je prenais nettement perception des passions vives et tenaces qui avaient assemblé, cimenté et maintenu debout les murailles de cette petite ville aujourd’hui somnolente et entrée à jamais dans les domaines de la mort, mais qui garda pendant une longue durée de siècles, accumulée entre ses remparts, une réserve d’indomptable énergie. L’histoire, ou presque toute l’histoire de Lectoure tient dans la défense et la conservation de ses franchises : elle voulut se gouverner elle-même. Sans doute elle éprouva d’autres revers et d’autres gloires ; elle fut prise d’assaut, saccagée, et se releva de ses ruines. Mais laquelle de ses sœurs du Midi ne fut point soumise aux mêmes vicissitudes ? Je vais même jusqu’à volontiers accueillir les manières trop farouches et, pour tout dire, romantiques, avec lesquelles elle m’a, dans le bref espace d’une après-midi, souhaité la bienvenue, et décerné tout aussitôt un tragique adieu. Quand soudain nous la découvrîmes au détour de la route, par un soir d’août fuligineux et gros de pluie, elle dressait en pleines ténèbres d’orage un spectre saisissant de cité que le jour déclinant frappait d’une blancheur de foudre. Quelques heures plus tard, sur l’autre versant, un sanglant crépuscule la noyait dans la