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LA PORTE ÉTROITE
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ne veut rien dire : c’est être un pur poète qui importe… mon frère ! merci pour m'avoir fait connaître et comprendre et aimer tout cela.

…Non, n’écourte pas ton voyage pour le plaisir de quelques jours de revoir. Sérieusement, il vaux mieux que nous ne nous revoyions pas encore. Crois-moi : même là, près de moi, je ne pourrais penser à toi davantage. Je ne voudrais pas te peiner, mais j en suis venue à ne plus souhaiter — maintenant — ta présence. Te Vavouerai-je ? Je saurais que tu viens ce soir… je fuirais. —

Oh ! ne me demande pas de ^expliquer ce… sentiment, je f en prie. Je sais seulement que je pense à toi sans cesse {ce qui doit suffire à ton bonheur) et que je suis heureuse ainsi."

J’admire, en relisant ces lettres aujourd’hui, que pour peindre le sentiment le plus égal quoique dans son intensité la plus grande, la voix humaine sache trouver des modulations toujours si simples et différentes ; mais ce n’est pas pour y étaler notre amour que j’entrepris pour vous ce récit.

Feu de temps après cette dernière lettre et dès mon retour d’Italie, je fus pris par le service militaire et envoyé à Nancy. Je n’y connaissais âme vive, mais je me réjouissais d’être seul, car il apparaissait ainsi plus clairement à mon orgueil d’amant et à Alissa que ses lettres étaient mon seul refuge, et son souvenir, comme eût dit Ronsard, « ma seule entéléchie. »

Ce qu’étaient ces lettres pour moi, à ceux qui ne l’ont pas déjà compris c’est en vain que j’essaierais de le dire.