Page:NRF 1909 2.djvu/86

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
192
LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

" Oui ! malgré moi je t’ai cherché tout le matin, mon frère. Je ne pouvais te croire parti. Je t’en voulais d’avoir tenu notre promesse. Je pensais:c’est un jeu. Derrière chaque buisson j’allais te voir apparaître. — Mais non ! ton départ est réel. Merci !

J’ai passé le reste du jour obsédée par la constante présence de certaines pensées, que je voudrais te communiquer — et la crainte bizarre, précise, que, si je ne te les communiquais pas, j’aurais plus tard le sentiment d’avoir manqué envers toi — mérité ton reproche…

Je m’étonnais, aux premières heures de ton séjour à Fongueusemare, je m’inquiétai vite ensuite de cet étrange contentement de tout mon être que j’éprouvais près de toi; 11 un contentement tel, me disais-tu, que je ne souhaite rien au-delà ". Rien au-delà ! Hélas ! c’est cela même qui m’inquiète…

Je crains, mon ami, de me faire mal comprendre. Je crains surtout que tu ne voies un raisonnement subtil (oh ! combien il serait maladroit) dans ce qui n’est que l’expression du plus violent sentiment de mon âme.

« ■S’il ne suffisait pas, ce ne serait pas le bonheur » — m’avais-tu dit, t’en souviens-tu ? El je n’avais su que répondre. — Non Jérôme, il ne suffit pas. Jérôme, il ne doit pas nous suffire. Ce contentement plein de délices, je ne puis le tenir pour véritable. N’avons-nous pas compris cet automne quelle détresse il recouvrait f

Véritable ! ah ! Dieu nous garde qu’il le soit ! nous sommes nés pour un autre bonheur.

Ainsi que notre correspondance naguère gâta notre revoir de l’automne, le souvenir de ta présence d’hier désenchante ma lettre aujourd’hui. Qu’est devenu ce ravisse