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Page:NRF 1909 2.djvu/96

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202 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

c'est peut-être encore à travers ces menus soins, et renon- çant à la poursuivre, que je sentais le moins combien j'étais dépossédé. La moindre conversation m'en avertissait davantage. Quand Alissa m'accordait quelques instants, c'était en effet pour une conversation des plus gauches, à laquelle elle se prêtait comme on fait au jeu d'un enfant. Elle passait rapidement près de moi, distraite et souriante, et je la sentais devenue plus lointaine que si je ne l'eusse jamais connue. Même je croyais voir parfois dans son sourire quelque défi, du moins quelque ironie, et qu'elle prît amusement à éluder ainsi mon désir... Puis aussitôt je retournais contre moi tout grief, ne sachant plus bien ni ce que j'aurais attendu d'elle, ni ce que je pouvais lui reprocher.

Ainsi s'écoulèrent les jours dont je m'étais promis tant de félicité ; j'en contemplais avec stupeur la fuite, mais n'en eusse voulu ni augmenter le nombre ni ralentir le cours, tant chacun aggravait ma peine. L'avant-veille de mon départ pourtant, Alissa m 'ayant accompagné au banc de la marnière abandonnée d'où le regard jusqu'à l'horizon s'étendait — c'était par un clair soir d'automne où l'on distinguait jusqu'au plus lointain détail dans la campagne sans brume, dans le passé jusqu'au plus flottant souvenir — je ne pus retenir ma plainte, exagérant du deuil de quel bonheur mon malheur d'aujourd'hui se formait.

— Mais que puis-je à ceci, mon ami ? dit-elle aussitôt. Tu tombes amoureux d'un fantôme.

— Non, point d'un fantôme, Alissa.

— D'une figure imaginaire.

— Hélas, je ne l'invente pas. Elle était mon amie. Je la rappelle. Alissa ! Alissa ! vous étiez celle que j'aimais.

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