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204 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

— Un mot expliquerait tout, que sans doute tu n'oses pas dire...

— Lequel?

— J'ai vieilli.

— Tais-toi.

Je protestai tout aussitôt que j'avais vieilli moi-même autant qu'elle, que la différence d'âge entre nous restait la même... Mais elle s'était ressaisie; l'instant unique était passé et, me laissant aller à discuter, j'abandonnais tout avantage ; je perdis pied.

Je quittai Fongueusemare deux jours après, mécontent d'elle et de moi-même, plein d'une haine vague contre ce que j'appelais encore " vertu " et de ressentiment contre l'ordinaire occupation de mon cœur. Il semblait qu'en ce dernier revoir, et par l'exagération même de mon amour, j'eusse usé toute ma ferveur ; chacune des phrases d'Alissa contre lesquelles je m'insurgeais restait en moi vivante et triomphante après que mes protestations s'étaient tues ! Eh ! sans doute elle avait raison ! Je ne chérissais plus qu'un fantôme ; l'Alissa que j'avais aimée, que j'aimais encore n'était plus... Eh! sans doute nous avions vieilli ! Cette dépoétisation affreuse devant quoi tout mon cœur se glaçait, n'était rien après tout, que le retour au naturel ; lentement si je l'avais surélevée, si je m'étais formé d'elle une idole, l'ornant de tout ce dont j'étais épris, que restait-il de mon travail, que ma fatigue ?... Sitôt aban- donnée à elle-même, Alissa était revenue à son niveau, médiocre niveau, où je me reconnaissais moi-même, mais où je ne la désirais plus. Ah ! combien m'apparaissait absurde et chimérique, cet épuisant effort de vertu, pour

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