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354 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

moment de Carnaval ; M. de T. devait donner la comé- die à ses amis et il ne me parut pas convenable de préparer mon retour dans les ordres par la dissipation et le travestissement. Je commençai d'errer un peu au hasard. Comment, sans avoir rien décidé de cela, me trouvai-je, moins d'une heure après, à l'hôtel de Tran- silvanie, devant le tapis de jeu et poussant les cartes ? C'est ce que la tyrannie de l'habitude et le pouvoir du mal ont seul le don d'expliquer. Plusieurs des affidés de la maison étaient encore les mêmes que ceux que j'avais vus autrefois avec Lescaut. Ils ne me reconnurent pas ; mais, le succès de mes coups et ma façon de jouer, qui ne pouvait être connue que d'eux seuls, éveillèrent leurs soupçons. Je tremblai qu'ils ne vinssent à découvrir qui j'étais ; heureusement j'eus assez de force pour dissimuler; mais je profitai du gain que j'avais réalisé aux dés et au pharaon pour les enivrer. Ceux que je craignais davantage burent plus que de mesure ; et le dégoût de les voir, entre le vin et les cartes, se ravaler au pire degré de l'abjection réveilla mon honneur et ma dignité. Je sortis en laissant ces êtres vils à leur dégradation. — " Au moins, dis-je, que ce spectacle me soit salutaire et me fortifie dans mon idée du retour à Dieu ". Il n'y a rien de tel pour ramener un cœur généreux à une voie meil- leure que la vue du vice et de tous ses méfaits ; et ceux que je venais de contempler, avaient agi en moi avec tant de répugnance qu'il ne m'apparaissait plus possible de différer dans ma conversion.

Des dispositions aussi favorables me préparèrent digne- ment à attendre le jour. J'aspirais de toutes mes forces à revoir Tiberge et ce fut le cœur empli de son image.

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