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FRAGMENTS d'un POEME 489

personne à portée de nos voix, je crois... Le cher enfant. Je le vois encore avec une fixité exquise et terrible, assis sur un banc de pierre, songeur et penché, dans son petit costume marin au béret et à l'ancre d'or, et tel qu'au jour d'angoisse où je frappai sa bonne figure...

Je le cherche. Et je pense à lui dans les fêtes qui fermentent, et dans les foules crieuses, et dans les rues grasses, plus longues au loin des baies des lumières, où des ombres rêvent sur les flaques, les jambes ployées et jointes, sous le poids d'un souvenir qui leur saute aux épaules comme un mauvais singe... Il est des pensées qu'on sent et qui se cachent derrière toutes les autres. Et il n'en arrive de nouvelles que pour elles, qui bouchent par instants les clairières jaunes où la mort est lasse de montrer sa figure trouée comme un liège... L'enfant dérange la nuit chaude... Les yeux de l'orage éclairent sa forme. — Il saute sur la grille d'un arbre. Il accourt dans l'odeur d'une avenue plantée d'ailantes où des phalènes battent comme des paupières... Les soirs où je prends ma part d'une fête, j'ai envie de m'enfuir tout de suite quand j'y pense, de courir dans un quartier pauvre, et d'y souffrir dans un coin sombre... Et il m'arrive de rêver que je le retrouve, homme enfin, noir et bête, abrupt, indolore et cruel, et qu'il est beau, et fort, et riche, dans un endroit de plaisir, avec une cravate indicible, et que

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