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LA CULTURE DU SOUVENIR I29

l'association de nos pensées, elle fait de notre vie morale " un faisceau fortement lié " ^ ; elle nous force à un jugement et à un choix continus, à une élimination immédiate de tout ce qui, dans notre être intime, ne mériite pas d'être conservé ; elle nous engage à nos propres yeux, et ne nous permet d'accueillir en nous que ce qui peut nous enrichir. Elle a pour condition la sincérité, d'où naît forcément la modestie, et pour résultat le sentiment de notre supériorité sur les choses inconscientes et passa- gères, et sur les forces extérieures auxquelles notre âme, du moins, n'est pas soumise. Elle crée en nous l'équilibre moral et l'ordre intellectuel, et nous aide à réaliser " cette vie modérée de l'intelligence et du cœur " où parvint Dominique, et que rêvait, à vingt-quatre ans, Fromentin. Telles sont les conclusions, mélancoliques et conso- lantes à la fois, que peut suggérer la lecture des Lettres de Jeunesse à ceux qui voient les plus chers moments de leur vie s'efîacer peu à peu de leur mémoire infidèle : conso- lantes, si ces moments sont encore assez proches pour qu'un effort leur rende une existence illusoire et pourtant féconde ; mélancoliques, si rien ne peut plus réveiller les morts que nous portons en nous, et si notre âme débile se refuse à créer ou à ressusciter les instants éternels.

Jean Talva.

• Lettres de Jeunesse p. 119.

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