Page:NRF 1909 8.djvu/58

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

142 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

de l'innocent, exaltaient Gerfaut. Il lui vint un flot de vie, de la passion. Inconsciemment, il prit son masque de bonhomie et sa voix doucereuse, et dit à Chtiot Jules :

— Qu'est-ce que tu as ? Tu pleures, pour une gifle, la belle aflfaire ! Je t'ai fait mal. Pauvre petit. Je ne suis pas méchant. Je crois bien que tu pleures pour autre chose, moi. Tu as du chagrin et tu ne veux pas le dire. Tu as le mal du pays, comme les bleus. C'est ton Sissoune qui te tracasse. Pleure pas, tu iras en permis- sion. Tu le reverras, ton Sissoune.

Et il caressa la joue qu'il avait souffletée. Chtiot Jules tremblait contre le mur et fuyait le regard de l'ancien. Cette main câline et la douceur artificielle de cette voix, avaient glissé sur son instinct. Il se fermait, se rétractait. Une nouvelle lutte s'offrait à Gerfaut et il reprit :

— Dis-moi ton chagrin. Tu sais bien que nous sommes pays. J'ai été à Sissoune, moi. On marche longtemps sur une route, à travers les champs de betteraves, et on ne rencontre pas une seule maison. Si, si : loin, très loin, on voit la cathédrale de Brouk et les cheminées des usines. Et puis c'est Sissoune. Il y a des auberges. Il y a une verrerie, hein ? dis ? Réponds donc ?

La confiance était lente à renaître, et Gerfaut pour- suivit :

— Tu as peur de moi. Que tu es bête ! J'ai connu ton père à Sissoune. C'est un poteau. On a souvent bu ensemble. Qu'est-ce qu'il est devenu ?

Chtiot Jules fut surpris, et leva les yeux sur Gerfaut.

Le visage du maître était d'une composition irréprocha- ble. Un peu penché, l'œil contrit du bon apôtre, le sourire béat, il assurait de son excellence, et il exprimait bien le

�� �