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IOO LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

la mémorable plantation de mon père. Non seulement notre mur disparaissait derrière la frondaison compacte des branches qui se joignaient entre elles de bout en bout, mais on n'apercevait plus de la maison Davèzieux que l'étage. Pour ce qui est du belvédère qui jadis nous commandait si tyranniquement, bien fin qui en aurait soupçonné l'existence.

La vue de ces marronniers me rappela le drame qui avait tant ému mon jeune âge, et tout en m'attendrissant sur ces lointains souvenirs, liés à mes regrets filiaux, je songeais au prodigieux enchaînement de circonstances qu'avait déterminé la fantaisie paternelle. Ces arbres ! de ricochet en ricochet ne leur devais-je pas, après de puérils chagrins, tout le bonheur de ma vie d'homme ? Sans eux, j'eusse passé à côté de mon vrai destin qui était d'aimer Henriette !

Je songeais aussi à la vanité d'une querelle, qui avait en cela ressemblé à la plupart des querelles humaines. Mon père et M. Davèzieux s'étaient entêtés, l'un dans ses principes, l'autre dans son amour-propre, comme s'ils eussent été maîtres de l'avenir. Ils n'avaient pas réfléchi, celui-là qu'il n'aurait probablement pas le temps de béné- ficier du rempart qu'il dressait, celui-ci qu'il n'en serait peut-être jamais incommodé. Si quelqu'un avait raison d'être fâché, c'était mon compagnon de jeux, mon héroïque Prosper, qui, lui, se trouvait frustré de la vue. Par suite, au lieu d'un voisin dont la fréquentation eût été aujour- d'hui d'agréable ressource dans ce Saint-Clair où je ne connaissais presque plus personne, je me trouvais pourvu d'un ennemi naturel. Il m'eût été pourtant bien égal que Prosper plongeât sur Longval tout à son aise !

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