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NOTES 521

à ce solitaire l'occasion de parler de " l'enfer " où il est plongé ; d'écrire, chaque quinzaine, la critique de ce monde où " rien n'est ". Cependant, on pouvait pressentir chez l'auteur de Voici l'Homme le goût de la satire. Le génie satirique, avec ce qu'il comporte de grossissement, de " grossièreté " même était inné chez Suarès. Il dit lui-même voir toute la vie comme un drame, et " chaque drame... m'est qu'une farce pour le voisin". C'est pourquoi Scantrel, aujourd'hui, n'est pas infé- rieur à la tâche qu'on lui a proposée : il sait dramatiser l'actualité, il cogne sur le Duc l'Ane et sur le professeur Navet, il se complaît, comme un héros shakespearien, dans l'injure la plus truculente : "... Sur ce cadavre d'honneur, nos mouches à viande se précipitent, car il faut loger des vers, dans une charogne !" (A propos d'un enseigne escroc).

Il ne déplaît pas, au surplus, de voir " Lord Spleen de Cor- nouailles" parler à la foule. On l'imagine assez bien haranguant le peuple de " ceux qui labourent ". Car il aime la terre, c'est dans la terre qu'en dernier ressort, il découvre le fond de la vérité, la nourriture de toute poésie. Il sait, à l'occasion, humer, dans chaque mot, avant de s'en servir, l'odeur du sol. Quoi qu'il ait contre la plèbe, le langage de la plèbe est celui qu'il préfère : Il parle des " lève-tôt " et des " chauffe-la-couche ". 11 II faut, dit-il, qu'un maçon aime la brique et la pierre ; un charpentier, le bois et le rabot ; un tonnelier, la doloire, les rjouves et le merrain".

Il ne manque à Suarès, pour être compris des hommes, qu'une certitude à leur apporter. Cette affirmation que personne n'osa jamais demander à Suarès, Scantrel a compris que les lecteurs d'une revue l'exigeraient de lui. Il n'a pu s'en tenir à cette impartialité féroce qui, de si haut, jugeait le monde et les hommes. Il a bien fallu qu'il dise, à la fin, s'il était pour Drumont ou pour Hervé, et quelle place il occupait entre Huysmans et Renan. Mais cette réponse qu'avec la même simplicité nous aussi nous avons guettée est ici trop hâtive, trop forcée, pour ne pas nous décevoir. Ecoutez-le parler de Renan, de Zola, de Drumont, de Clemenceau, d'Isadora Duncan ou de Regina Badet, et soyez persuadés que, s'il

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