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658 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

là un honneur qu'il n'avait pas même osé souhaiter. " Quand les autres sauront cela ! — et mes parents. " Mais il y avait quelque chose dont il était encore plus satisfait : c'était le discours qu'il venait de faire à Fermina Marquez. \ Il l'avait improvisé rapidement, comme il improvisait, en marchant dans la cour des récréations, ses meilleures compositions françaises : il les portait " dans sa tête " pendant plusieurs jours, les modifiant, les retou- chant, supprimant un adverbe, changeant de place tout un membre de phrase. Et, une heure avant le moment fixé pour remettre les copies, il écrivait sa composition, directement au net, sans une rature. C'est ainsi qu'il aurait pu réciter d'un bout à l'autre, sans hésitation, tout le discours de rupture qu'il avait fait à la jeune fille. Il en était satisfait : cette fois, il était bien sûr de n'avoir pas été ridicule.

A peine regrettait-il des mots un peu vifs : " des mar- chands, des financiers, toutes sortes de gens vulgaires " et le père Marquez qui était banquier. Mais non, ce n'était pas une sottise. Pendant tout le temps qu'il avait parlé, Joanny avait senti que, du fond de sa conscience, une force cachée le poussait à dire cela, et que tout cela était plein d'un sens plus complet qu'il ne croyait. Bref, il avait encore menti. Son génie, par exemple. C'était Ja première fois qu'il s'affirmait à lui-même l'existence de son génie. Quand il lisait cette " Vie de Franklin ", il ne croyait pas à son propre génie. Quand on lisait, en classe, le devoir de quelque autre élève, il s'étonnait devant mille pensées subtiles, mille habiletés de traduction qu'il n'eût jamais découvertes, lui. Que de fois il avait éprouvé la vérité du sentiment exprimé par ce vers :

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