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FERMINA MARQUEZ 659

" Mon génie étonné tremble devant le sien ".

En vérité, il y avait, dans sa vie, pour quelques instants où il lui semblait que sa personnalité remplissait le monde, des jours et des jours où il se sentait réduit à un point, et où l'univers était si grand que l'idée de son propre néant l'épouvantait. Au sujet de sa modestie et de son humilité il avait donc été sincère. Mais de nouveau il avait usé d'artifice lorsqu'il avait fourni ce qu'il avait nommé une preuve de son génie. Pendant qu'il parlait de persécution il avait obscurément associé les idées suivantes : Jean- Jacques Rousseau, — la folie de la persécution, — le génie. Sa preuve était double : apparente, en ce qu'il se disait persécuté à cause de son génie ; et évidente, parce que souvent l'homme de génie se croit persécuté. Oh ! c'était très fort !

En somme, toute son éloquence revenait à ceci : " Entre Santos Iturria et moi vous avez choisi. C'est bien. Mais sachez donc qui vous avez rejeté, et regrettez-moi ! " Il n'avait pas songé un instant à lui reprocher sa coquet- terie, à lui dire combien cette coquetterie contredisait ses discours religieux ; bref, à l'accuser d'hypocrisie. " Voilà donc ce qu'elle redoutait ! " Voilà donc pourquoi son adieu avait été si cordial.

Sans transition, il songea aux beaux yeux sérieux de la petite sœur. " Moi, je n'aurais pas dit non ". Il se rappe- lait tous les gestes et toutes les jolies manières de Pilar. Un jour que son grand ruban s'était dénoué, il avait vu ses cheveux nus étalés sur ses épaules, des cheveux d'un noir absolu, qui devaient être lourds et durs au toucher. Fermina avait rattaché le ruban, prenant la chevelure à poignée... Couchaient-elles dans la même chambre ?...

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