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770 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

de soirée, dans laquelle elle se sentait plus belle, et qu'elle froissait avec indifférence. Décidément, toutes les aven- tures de ces personnages ne l'intéressaient guère ; son propre cœur était trop plein d'émotions ; sa propre aven- ture était trop belle. Si le traître était devenu l'ami de Santos Iturria, certainement il se serait amendé, et la catastrophe finale n'aurait pas eu lieu. Elle avait pitié de la Currita (dans " Petitesse ") ; elle avait pitié de toutes les héroïnes, méchantes ou malheureuses. Elles n'avaient pas eu, pour les consoler ou les racheter, l'amour de Santos Iturria... Elle fermait le livre et pensait à son bonheur. Elle jetait des regards de tendresse sur les choses qui l'entouraient. Les lampes électriques du lustre, les ampoules lumineuses des appliques, au-dessus de la cheminée et de chaque côté de la glace ronde ; toutes ces lumières rayonnaient, pures et immobiles, exprimant la sécurité au sein des richesses. Les murs tendus de soie moirée vieux-rose, les meubles lourds et riches, le tapis épais couvrant tout le plancher, l'or des cadres, les tables et les guéridons incrustés de cuivre, l'armoire avec ses trois portes aux panneaux de glace limpide, elle regardait tous ces objets avec complaisance. Quelques semaines auparavant elle les détestait, parce qu'ils lui rappelaient que les riches n'entreront pas dans le Royaume des Cieux, parce qu'ils la faisaient songer avec angoisse à tous les malheureux, aux dormeurs des asiles de nuit, aux pauvres êtres qui sont tombés en bas du monde et qu'on voit nus jusqu'à l'âme. Maintenant au contraire elle les aimait ; ce luxe était digne du roi de son cœur. Elle n'y tenait pas, pour elle-même ; mais lui, ne serait-il pas heureux, s'il consentait à venir passer quelques jours chez elles, au

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