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Avant de visiter l’église je veux voir le paysage, et je vais jusqu’à la mer où glisse un mol sable orangé. De solides cabanes, battues par le vent salé, sont plantées dans ce désert amer ; elles étalent leurs dures couleurs jaunes, blanches, vermillon au bord de la vague si bleue ; et ces tons crus et rapprochés, comme on en voit aux costumes des paysans, ont déjà une acre puissance. C’est l’Espagne, sordide, violente, striée d’ocre, de poix, de chaux, ravagée par la clarté, — et rouge piment du monde !

Je monte vers la ville, voici les rues merveilleuses : calle Mayor, calle de Las Tendas, vieilles petites rues intactes, où les maisons s’alignent, éclatantes et diverses comme les perles des bazars. Les toits, sculptés plus soigneusement que les corniches d’un palais, en s’avançant abritent les miradors, les précieux balcons, les rampes de fer verni. Noires et blanches, fragiles comme des vitrines, ornées aux fenêtres de dentelles aussi délicates que les écharpes des madones, faibles sous les diadèmes de leurs toits trop beaux, ces demeures semblent n’être là que pour des scènes de galanterie et de plaisir.

Un œillet jeté ébranlerait toute la mince façade.

Dans ces rues exiguës, pareilles à de somptueux couloirs, on imagine les rôles de l’ingénue, de l’intrigant, du jaloux et du barbier. Les yeux levés, je regarde : au-dessus d’un si étroit espace,