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Page:NRF 6.djvu/75

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LÉVY 69

Le Voyageur s'arrêta devant un bleu pâle de sucrerie bon marché. Des timbres de nickel éblouissant reposaient sur un lit de peluche rouge entre des flacons d'huile et les anneaux enroulés d'une chaîne mate. La vitre de la porte lui révéla, dans rarrière-boutique, un spectacle devant lequel son foie de Hollandais Volant tressaillit.

Autour d'une table ronde cinq personnes assises offi- ciaient en inclinant la tête devant les flancs d'une grosse soupière fumante. Cinq colonnes de vapeur plus minces marquaient les ciboires régulièrement espacés où reposait la nourriture du soir. Le soleil se couchait, par-delà l'arrière-boutique, sur un petit jardin vert et or, bien ratissé. La vapeur du potage prenait le ruissellement du couchant et l'emportait, en s'élevant, vers l'ombre du plafond. La famille Chartier se mettait à table. Le Voyageiu-, ébloui par le soleil, se perdait, immobile, dans cette vision de calme paradisiaque. — " Alfred, regarde donc celui-là ! " dit une voix aigre.

Un homme mal rasé, en bras de chemise, la serviette au cou, se leva de table en faisant grincer les quatre pieds de sa chaise et s'en vint, la bouche pleine, d'un pas pesant. Sans un regard au Voyageur, il claqua la porte entrebâillée et poussa un loquet intérieur. Puis il s'en retourna en roulant sur ses mollets. Sa silhouette cachait et démasquait alternativement le soleil. Monsieur Chartier venait de faire acte de bon père de famille, ce qui est inscrit au premier chapitre des vertus bourgeoises. Le Voyageur s'en fut.

Au bout de la rue, la place apparaissait à moitié vide.

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