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LivY 77

Un tumulte de foule furieuse battit la petite boutique. Une masse lourde frappait à coups réguliers la porte dont le bois craquait.

— " Salauds ! Salauds ! A mort les Youpins ! A mort les Youtres ! Salauds ! Les cochons ! les traîtres ! vendus ! Mort auix Juifs ! Mort aux Juifs ! On aura les tripes du Lévy et le cul de sa salope de putain ! Youpins ! Salauds ! Prussiens ! A l'eau les mômes ! graine de vendus ! graine de Youpins ! C'est leurs tripes qu'il nous faut... faut... faut...!" —

Puis, sans transition, la Marseillaise antijuive éclata. Le bruit était enflé et profond ; il disait la grandeur de la foule qui était là devant. La petite boutique résonnait comme l'intérieur d'une caisse à tambour sur laquelle un enragé aurait battu la charge. Des coups plus secs, des sifflements stridents et le choc grêle des cannes contre les ferrures des volets tranchaient sur le grondement massif de l'émeute. Mais sans arrêt, battant les deux secondes, la masse lourde tombait sur le bois de la porte qu'elle broyait peu à peu.

Le Voyageur avait mis la main à sa poche-revolver ; le sang lui battait dans les yeux ; il regarda d'un air hébété autour de lui en retenant son souffle.

La salle à manger s'était remplie de visage pâles ; à la porte de la cuisine une femme de petite taille au nez maigre et aux yeux ardents écoutait fixement. Derrière elle, une figure épaisse et deux gros yeux ternes d'homme suaient l'angoisse sous la crépelure d'une tignasse laineuse. Un vieillard était tombé sur une chaise, la lumière du gaz se reflétait sur son front élevé ; ses mains maigres pas- saient en tremblant dans de grands cheveux blancs. Un

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