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I060 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

aussi dangereux, le préjugé du modernisme. La poésie est aussi, est peut-être surtout, transposition.

Ce n'est pas de dire " je " (moi, un d'entre nous, un homme moderne) qui confère nécessairement à un poème les qualités de sincérité, d'actualité, d'urgence que nous lui deman- dons, mais bien un certain ton, un certain souffle, une puissance d'authenticité, capable de rajeunir les héros les plus démodés, les sujets les plus rebattus. Un Byron sous le masque de Childe- Harold n'est pas moins sincère, ni moins actuel, ni moins urgent, et ni un Goethe sous l'habit de Faust, qu'un Villon ou qu'un Verlaine. De tous temps, au contact de l'histoire et de la légende, des mythes, bretons, Scandinaves ou grecs, d'une poésie en un mot qui déjà avait pris forme, les plus grands poètes auront tressailli comme éclairés soudain d'une révélation, — d'une révé- lation sur eux-mêmes ! comme fécondés soudain, au point le plus secret, le plus profond, le plus particulier de leur génie, par une semence attendue, et sans laquelle il n'eût pu resplen- dir. J'accorde bien tout le premier que " l'art construit sur un autre art, cet art au second degré demeure superfétation " \ fût- il débordant de talent. Mais point chez l'artiste " authentique ", qui né à son heure, apporte à l'art les soucis de son heure et les transposant, les renforce. Un Shakespeare emprunte à Plu- tarque, mais supprime, efface Plutarque et ne crée jamais plus actuellement que quand il fait parler Coriolan ou César.

J'aime ce dépouillement, cette cynique franchise par quoi un Villon, un Verlaine nous touchent droit... Mais, il faut bien le dire, la substance profonde de leur poésie, de toutes les poésies pèse peu, comparée à quelques feuillets de Montaigne ou de Pascal. La pensée nue et le sentiment nu sont impuissants à nourrir longtemps le lyrisme; ils ne sont là que pour le susciter; il imagine, il combine, il transpose, il crée des " formes " ; la pensée d'un poète, c'est son don inventif. — Certes, on lui saura gré de couronner d'une idée rayonnante, pleinement

' Propos critiques, page i6.

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