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Page:NRF 7.djvu/170

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164 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Elle a une petite figure pâle et sérieuse, des yeux battus de larmes et un regard plus doux que celui d'un enfant. Qui peut-elle être ? Sinon Moll Flanders, tu sais, cette petite coquette qui, à huit ans, voulait être déjà une dame de qualité et qui — à cet âge-là — commençait à porter des dentelles, à tenir sa peau blanche et parfumée, à friser ses cheveux avec le fer. Maintenant, vois : c'est une miss tout à fait avenante. Elle est bien un peu prostituée et un peu voleuse, certes ! Mais, sa mère lui enseigna tellement de bonne heure à emprunter sans les rendre " trois pièces de fine Hollande à certain marchand de Cheapside ! " ^ Et elle a suivi la leçon, la pauvre ! Et quand elle n'est pas avec les tire-laine, les voleurs de Drury Lane, les crocheteurs de Covent-Garden, les garnements du Strand et autres lieux de Londres fréquentés de toutes sortes d'agréables et char- mants voyous, alors elle fait comme au temps où elle allait dans Cheapside, à côté de sa mère, la bonne créature dont Dieu ait l'âme. Elle "em- prunte " un peu partout, çà et là, chez les mar- chands ; et puis, elle revend plus loin ; et cela lui évite de coucher un peu trop avec n'importe qui, n'est-ce pas ?

Un jour vient pourtant, Daniel, où tu ne retrouves plus tel ballot d'étoffe dans ton comp- toir, où telle pièce de drap, telle dentelle, tel

' Marcel Schwob. — Préface à Moll Flanders (Paris, 1895).

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