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292 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

la scène qu'en tant qu'ils peuvent corser quelque intrigue amou- reuse. Ils n'ont rang que de sentiments mineurs qui ne se suffi- sent pas, qui n'intéressent pas en eux-mêmes, qui semblent aussi peu utilisables que, dans l'ancienne tragédie, les sentiments bour- geois. Il résulte de cette absurde étroitesse que pour peu qu'un auteur se hasarde à chercher son sujet dans ces conflits de sen- timents dédaignés, il prend figure de novateur ; on lui sait tant de gré de son honnête intention, que l'on est tout porté à voir en lui un artisan de la rénovation dramatique et qu'on impute à talent ce qui peut n'être que bon sens ou que bonne volonté.

Les Lambertier sont un ménage de petits industriels, braves gens, mais routiniers et faibles. Ils ont deux fils : l'aîné, Pierre, laborieux, épris de son métier, cœur tendre avec gaucherie, bon avec rudesse, dévoué, silencieux et violent. L'autre, Georges, mal élevé, égoïste, prodigue, nuisible à tous et pourtant sédui- sant. Il est entendu que l'aîné travaille tandis que le cadet, plus fin, joue à la créature de luxe. De quelque approbation que le père cherche à encourager Pierre, il ne se défend pas d'une secrète indulgence pour les fredaines de Georges. Avec ses fausses élégances, ce garçon flatte son amour-propre plus que l'aîné avec son labeur. C'est tout au plus si ce dernier ne lui porte pas d'ombrage.

Ce que Pierre éprouve pour la médiocre frivolité de Georges, c'est d'abord de l'humeur attristée et du mépris, avec une pointe de chagrin plus vif quand il sent qu'il n'occupe que la seconde place dans le cœur de ses parents. Mais les deux frères s'éprennent de la même jeune fille et le cadet, plus hardi, plus séduisant, la conquiert. Pierre se tait et refoule en lui une sourde et douloureuse rancune. Trois ans se passent. Non seulement la femme qu'il aime toujours n'est pas heureuse, mais une fois de plus il se heurte à son cadet dressé en travers de sa route. Il vient de trouver l'argent dont il a besoin pour mener à bien son entreprise de fonderie ; une dette de jeu que Georges a contractée le lui enlève. Force lui est de plier encore, de crier

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