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Page:NRF 7.djvu/307

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NOTES 3°^

importe que ce soit pour la première ou pour la cinquième fois. Il semble même qu'une œuvre belle soit pour eux celle qui retrouve les modèles les plus anciens et les mieux éprouvés, celle qui ressuscite les formes que des hommes de jadis, très savants et dont on a gardé le nom, ont prescrites pour toujours, celle qui réaborde heureusement après des siècles aux rivages certains et attestés de la tradition. Ce qui nous touche, c'est ce à quoi nous ne sommes pas habitués ; ce qui les touche, c'est de reconnaître leurs habitudes immémoriales. L'invention est, selon nous, le principal de l'oeuvre d'art ; mais eux paraissent la regarder comme une besogne difficile dont il est bien heu- reux que les hommes des anciens âges se soient chargés, parce que maintenant on n'a plus besoin de repasser par là, parce qu'on sait maintenant tous les sujets qu'on peut traiter et tous les procédés dont il convient de se servir. '

Un tel art est essentiellement impersonnel ; de telles pein- tures, même signées, sont anonymes. Aussi n'allons-nous pas chercher ici une émotion analogue à celle que nous donnent les œuvres occidentales. — Nos grands peintres, surtout depuis la Renaissance, nous ont accoutumés à collaborer avec eux ; ils laissent, presque tous, dans leurs toiles un je ne sais quoi d'imparfait, d'indéfini qui nous livre passage ; nous entrons dans leur atelier, nous arrivons avant qu'ils aient terminé leur travail et nous pouvons le suivre, saisir sa direction ; ils nous font un peu complices, ils flattent notre orgueil en nous don- nant à croire qu'ils ont besoin de nous pour que l'œuvre s'achève ; ils imitent l'architecte qui, pour faire accepter ses plans, feint de demander conseil à son client. C'est parce qu'Ingres, méprisant et bougon, s'est refusé à ces concessions, que nous l'avons, si longtemps, si mal compris. Car nous ne savons comprendre qu'en recommençant, qu'en reprenant, pour le mener à bout, le geste du créateur. Il y a dans notre joie devant un beau tableau, si pure soit-elle, quelque chose de l'orgueil bourgeois du collectionneur qui " connaît l'artiste "

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