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LA FÊTE ARABE 393

ciel ; les femmes vont traire les brebis ; les enfants nus se roulent dans le sable ; je vois nos bêtes qui paissent l'herbe rare ; pas un nuage, pas un pli dans le ciel ; une brise délicieuse précède la chaleur du jour, et je me dis : Que regrettes-tu ? Peut-être tu n'étais pas fait pour vivre au milieu des hommes, ou plutôt il te fallait une humanité vierge encore. C'est ta faute si ton entreprise a échoué ; on ne lutte pas avec le destin, et ton destin à toi, c'était d'aboutir ici à travers les péripéties de ta vie. N'en doute pas : ce n'est point la perversité des hommes qui t'a con- duit jusqu'ici, ce sont les forces de ton coeur. Remercie donc ces puissances obscures, n'accuse personne, apaise-toi. Voilà, mon ami, où j'en suis. Je ne sais plus pour- quoi, tout à l'heure, je vous parlais avec tant de passion. J'hésite à donner cette lettre au chamelier qui l'attend. Quel effet vous fera-t-elle au milieu de ce Paris que j'ai quitté, il y a tant d'années ! Elle vous paraîtra, j'imagine, aussi lointaine et inutile que la voix des prophètes Ezé- chiel ou Jérémie, N'importe, je vous l'envoie ; qu'elle emporte avec elle les soucis qui m'obsèdent. Dites-vous avec indulgence que c'est le cri d'un vieil Européen qui ne peut trouver tout à fait le repos dans les sables, car aussi fataliste que je sois devenu il y a toujours des ques- tions qui me font bondir le cœur, et je veux croire qu'avec un peu de fermeté et de sagesse nous y pourrions encore quelque chose."

Une voix trop passionnée éveille presqu'infailliblement chez celui qui l'écoute un désir de contradiction ; et puis rien ne révolte plus que d'entendre déclarer prête à tomber en pourriture une œuvre que l'on croit saine et prospère.

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