Cependant le maltais, pour qui ce spectacle accablant n’offrait plus de surprise, me déclarait avec orgueil que Ben Nezouh avait beaucoup changé, que c’était maintenant une ville française et que j’allais trouver chez lui tout le confort désirable. En même temps il me poussait dans un escalier malpropre, où je glissais à chaque marche, pour me conduire à ma chambre. Des roues de charrettes, un pot cassé, une chaise à trois pieds, une cuvette en tôle émaillée en composaient l’ameublement. Du plafond descendait une lampe électrique dont l’abat-jour de verre disparaissait sous les mouches. Lorsque je m’approchai du lit, une couvée de dindons s’échappa du sommier sur lequel étaient jetés un infect matelas, une couverture de cheval et une courtepointe de satin.
Au milieu de ces décombres, Benvenuto Mammo, le sourire sur les lèvres, attendait, je suppose, que je lui fisse un compliment. Je n’eus pas le courage de lui adresser des reproches, et le priai seulement de m’indiquer l’endroit où habitait le Docteur.
— Le Docteur Mafioli ? fit-il d'un ton affable.
— Non, mon ami, le Maire.
— Antonio Gonzalvez ?
— Antonio Gonzalvez… répliquai-je de plus en plus ébahi.
Et cette comédie eût pu durer longtemps, si croyant deviner à je ne sais quoi d’ironique qui perçait sous son air servile, que le drôle se moquait de moi, je ne l’avais prié de ne pas faire la bête.
— Ah ! le docteur français, notre ancien maire ? fit-il, comme s’il fût sorti d'un rêve ou s’il avait rappelé du fond de sa mémoire quelque souvenir oublié. Voilà plus de cinq ans qu’il a quitté Ben Nezouh !