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496 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Ainsi chassons le souvenir de trop de puérils symboles. Suivons cette belle conscience dans son développement avoué. Sa leçon se résumerait, dans le principe, en une phrase : " Il s'agit d'en croire ses yeux. " Le monde propose, l'artiste dispose. L'artiste tâche à découvrir l'œuvre d'art incluse dans la nature. Il ne pliera pas la forme vivante aux mouvements qu'il a rêvés ; il attend que dans son élan spontané elle vienne rejoindre son rêve. C'est un " chasseur de vérité ". Humble acceptation, con- fiance spontanée. Voilà une saine esthétique, bien peu transcen- dantale n'est-ce pas ? Nous sommes loin encore des "intentions" du Penseur, celui qui pense " avec ses muscles ".

Comment un Rodin, sculpteur né, aborderait-il son art, de tous les arts le plus sensuel, le plus terrestre, par le chemin de l'idéal ? Comment aveuglerait-il son désir ardent et précis sous le bandeau d'un symbolisme creux, d'un académisme sans vie ? Aucun autre art, autant que la sculpture, ne distrait de l'idée, n'attache à la matière, ses véritables amants. Elle les lie, non point seulement par la vue, mais encore et plus forte- ment par le toucher, par le palper. Le dogme grec de la beauté des corps n'est pas pour eux littérature, mais bien réalité, pré- sence, urgence de chaque jour. Ils voient, ils caressent, ils étreig- nent : sous la peau le muscle, sous le muscle la dure charpente des os. Leur art ne tolère pas qu'ils s'en tiennent au seul aspect, à la projection abstraite d'une forme. Il exige, sous l'apparence, la révélation de la structure intime, de la mécanique des corps. Il contraint le sculpteur à une plus profonde vérité.

" Ne vois jamais les corps en étendue mais en profon- deur. Ne considère jamais une surface que comme P extrémité d^un volume, que comme la pointe plus ou moins large qi^il dirige vers toi."

Ainsi parlait un vieux camarade du maître. Constant, au temps de leur apprentissage. Sur cette formule pittoresque, d'autres eussent aussitôt édifié un " cubisme ". Rodin, loin de l'abstraire, en nourrit son instinct, étaie sur elle sa pratique,

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