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62'^ LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Et je restai seul à Ben Nezouh, dernière épave des Français de France installés dans l'oasis.

Je n'y étais plus rien, pas même médecin municipal, car les Calabrias avaient fait avenir un médecin d'Ali- cante, qui pour quelques douros délivrait un certificat de santé à toutes les filles avariées et les laissait à leur aise contaminer la région. Te voyais tout s'écrouler, s'avilir autour de moi. Pourquoi donc, me direz-vous, ne quittiez- vous pas pour toujours cette exécrable contrée ? A tort ou à raison je m'imaginais représenter un peu de vraie France là-bas, et qu'il était de mon devoir de tenir bon jusqu'au bout... Mais il est tard, vous devez être fatigué après un aussi long voyage. Comme disent les Arabes, tout oiseau a regagné son gîte pour la nuit. Je vous raconterai demain comment je fus chassé à mon tour.

Nous nous levâmes, et quittant la terrasse nous descendîmes dans la ruelle pour nous rendre à la maison voisine, que l'hospitalier En Naçeur met à la disposition de ses hôtes.

Qui n'a raccompagné, le soir, un ami passionné qui s'abandonne aux confidences ? Qui ne connaît ces allées et ces venues devant la porte, ces arrêts et ces reprises d'une conversation qui meurt et qui renaît sans cesse ? On se serre vingt fois la main, vingt fois le discours recommence sur un mot, sur une idée ; il semble qu'on n'aura jamais tout dit, que jamais on n'épuisera les sentiments et les pensées qui se pressent, ces foules profondes de l'âme qui veulent s'exprimer dans des paroles. Et quand on essaie au matin de ressaisir le fil de ces propos sans fin, il ne reste plus dans la mémoire que quelques notes très

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