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638 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

n'ai rencontré qu'une fois une de ces beautés parfaites : elle s'appelait Zohira.

Ce nom fut celui d'une femme célèbre dans les temps légendaires pour avoir rendu un ange amoureux. On raconte qu'elle le grisa avec du vin de palme et lui arracha, pendant l'ivresse, le mot magique qui permet de s'élever dans le ciel ; on dit encore que l'ange amoureux fut suspendu par les paupières dans un puits des environs de Babel, et que Zohira pétrifiée dans sa course à travers l'espace devint l'étoile qui porte son nom.

Quand je la rencontrai pour la première fois, ma Zohira pouvait bien avoir huit ans. Elle habitait chez sa sœur Aïchouch, rOuled Naïl la plus recherchée de Ben Nezouh. On voit ainsi beaucoup de ces enfants chez les prostituées du Sud : ce sont leurs sœurs ou leurs parents ; elles les aident à leur toilette, à disposer leurs lourdes nattes, où elles emmêlent pour les gonfler des tresses de laine rouge et noire ; elles font leurs courses en ville, leurs commissions chez leurs amants, s'initient à l'art compliqué des onguents et des fards, et apprennent aussi à danser. La présence de ces enfants en ce lieu serait tout à fait intolérable, si toute cette petite engeance n'avait le charme particulier aux petites filles arabes, que n'ayant plus à sept ans aucun secret à apprendre, elles ont encore de l'innocence.

Je me rendais fréquemment dans ce quartier des Naïliat par devoir professionnel ou par plaisir, tantôt à l'heure de la baïonnette dégainée, quand les Joyeux après la soupe envahissent les cours intérieures, enlèvent les femmes de force et parfois les laissent mortes ; tantôt à l'heure où les soldats ayant réintégré leur caserne, la Naïlia danse pour

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