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Page:NRF 7.djvu/748

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74^ LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

le malheur comme ce qui ne devrait pas exister ; aussi sa joie et sa tristesse sont-elles également indécentes : Moréas entend qu'on lui laisse la douleur

Qui nourrit sa pensée et lui fait l'âme forte.

Et certes, c'est un vin amer dont il s'enivre, amer, mais non point aigre comme celui dont un Flaubert s'abreuve jusqu'à la nausée ; et le prin- cipe de cette supériorité de Moréas, c'est encore et toujours la Raison :

Dans l'antique forêt, le vent et la cognée Sèment de l'arbre fort les rameaux à ses pieds Et parmi les humains la juste destinée Abat à chaque coup gloire, amour, amitiés.

La juste destinée ! Voilà la parole libératrice au son de laquelle s'évanouit toute humaine faiblesse. Dès lors qu'il le comprend et l'accepte le poète traite d'égal à égal avec le Destin, devient le colla- borateur conscient de la Nécessité reine du monde. Il s'égale à la Nature universelle, il la reflète en lui, il se contemple en elle ; comme elle et par elle il atteint à cette sérénité suprême qui ne procède pas de l'indifférence mais de la force unie à l'intellection :

Ne dites pas : la vie est un joyeux festin ; Ou c'est d'un esprit sot ou c'est d'une âme basse. Surtout ne dites pas : elle est malheur sans fin; C'est d'un mauvais courage et qui trop tôt se lasse.

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