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Page:NRF 7.djvu/932

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Le génie de l’un est à s’éprouver sans relâche, et le génie de l’autre à se connaître.

Rousseau se connaît mal ; mais il s’éprouve homme à tel point, qu’il se crée à mesure sous nos yeux. Montaigne se connaît si bien, qu’il ne se trompe jamais sur ce qu’il nous donne, et qu’il veut, en lui seul, nous faire saisir l’essentiel de nous. Plus Jean-Jacques s’abuse, et plus il se livre. Plus Montaigne se discerne, et moins il se trahit. La vérité de Montaigne nous convainc de penser et de n’être pas dupe, là même où il nous plaît de nous duper. Et toutes les erreurs de Rousseau nous persuadent de vivre.

La beauté de Montaigne est celle du diamant et de ses mille lumières croisées en une clarté unique. La beauté de Rousseau est celle de la créature sanglante, ouverte comme la terre au labour, toute retournée en ses racines, avec ses humeurs, ses maux étalés, ses excréments mêmes, et cette douloureuse ingénuité de la victime offerte, sur le bois où elle-même s’est fait clouer.

Cet homme qui ne voit rien comme un savant, fait tout voir comme un poète et comme un musicien. Il est plein de sentiments, plein d’émotions nouvelles, plein de voix mystérieuses et de paysages. Son âme est une fontaine originale, qui coule du rocher, sous le pic de la peine.

Chateaubriand, qui lui doit tant, ne modèle que lui-même, dans ses Mémoires admirables. Mais