Aller au contenu

Page:NRF 8.djvu/1091

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

LE THÉÂTRE IO83

un père obscur qui ne l'intimide pas, qu'il pourra peut-être surpasser. Peut-être il aura, lui-aussi, du génie. Il veut s'enfuir avec Alice. Mais la découverte de ce qui fait sa joie explique également sa faiblesse. Il est de race chétive et obéissante. Que peut-il contre ce Mostier qui l'a façonné par l'éducation ; que peut-il contre une mère autoritaire qui, dans une belle scène, fait hardiment face à l'orage et qui veut implacablement que Robert soit quand même le fils légitime d'Emmanuel Bailly ? Que peut-il enfin contre l'amour, car Alice était fière d'aimer le fils d'un grand homme ? Et courbé, vaincu définitivement, Robert restera le vassal d'une gloire qu'il n'est pas assez fort pour braver.

Ce qui m'arrête dans ces deux actes, je m'efforcerai de le préciser avec d'autant plus de franchise que M. Georges Duhamel est un de ceux qui apportent à l'étude des problèmes dramatiques le plus de soin et de sérieux. Il travaille à l'écart et ne recule pas devant les entreprises les plus hautes. La sou- plesse dont il a fait preuve en passant de La Lumière à Dûns Vombre des statues démontre assez qu'il pourra franchir de nouvelles étapes vers la parfaite justesse.

Mes objections portent sur le fond et sur la forme. Cette pièce a, si l'on peut dire, une faiblesse de colonne vertébrale : elle a pour protagoniste un être inconsistant et anémique. Un drame ne saurait tourner autour d'un aussi chétif caractère. Qu'à force d'art, Flaubert ait su nous donner l'épopée de héros médiocres : qui ne voit que ces romans sont construits comme des cathédrales, merveilleuses architectures autour du grand vide qu'est l'âme d'une Bovary ? Le drame n'a pas cette ressource — j'entends celui qui n'est pas anonyme peinture de milieux. Il ne se laisse pas reléguer autour des personnages ; il est ces personnages mêmes. Il y a des faibles qui peuvent être héros de tragédie, j'entends des faibles-puissants, qui ne sont vaincus que parce qu'ils sont déchirés de passions contradic- toires, ou qu'ils ont reçu trop de blessures, ou qu'ils n'ont pu

�� �