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LE MATADOR DES CINQ VILLES 325

entrer dans une chapelle brun sombre. Et des vallées montaient les sons de toutes les cloches de tous les temples de tous les diflFérents dieux des Cinq Villes, carillonnant, ou appelant à haute voix, ou sonnant avec monotonie, et chacune affirmant qu'elle seule invitait les fidèles à l'autel du seul vrai dieu. Et çà et là des prêtres des différents cultes, accompagnés de leurs acolytes, se hâtaient au long du chemin, en chapeaux haut-de-forme et en cravates d'une blancheur éclatante, avec des pardessus de drap fin et des mouchoirs plies qui sortaient de leur poche de côté, affairés, heureux, et pleins d'importance ; hérauts convaincus du salut éternel, et jamais un doute ni une hésitation concernant les vérités fondamentales de leurs croyances n'avaient traversé leurs esprits. Nous suivîmes une longue rue droite bordée de maisons neuves, rouges avec des toits d'ardoises bleues, toutes pourvues d'une grille et d'un jardin. Çà et là une servante, les cheveux dans des bigoudis et un gros tablier brun par dessus une robe voyante, à genoux, passait un seuil à la pierre. Et vers le milieu de la rue un homme en jersey rouge accom- pagnés de deux femmes en chapeaux bleus, battait un tambour et criait : " Mes amis, vous pouvez mourir ce soir. Où donc, je vous le demande, où donc... ? " Mais il n'avait pas d'amis. H n'y avait même pas un gamin pour faire attention à lui. Le tambour continua de battre derrière nous.

Tout cela me faisait plaisir. Tout cela me semblait beau, de tout cela me semblait émaner la vraie, la belle, romanesque saveur de la vie. Je n'aurais rien voulu y changer. Mesquinerie, dureté, laideur, saleté, grossièreté, barbarie, oui, mais en cela même quelle enivrante

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